15 février 2017

Le nucléaire entre les mains de psychopathes


Artiste : Rafal Oblinski

Quand on voit des nations manipuler les armes nucléaires comme des fusils à eau, on ne peut s'empêcher de penser aux conséquences irréversibles. Dans son livre-testament, Sable Mouvant, l'écrivain et grand penseur Henning Mankell (1948-2015) craint que l'instinct de destruction des humains ne les conduise à l'anéantissement.
   Ce livre teinté d'une profonde sensibilité n'est pas pessimiste, au contraire; le dernier chapitre s'intitule Ne pas se laisser déposséder de sa joie. Mais il continue de se soucier de l'environnement et de la condition humaine, avec le regard lucide qu'on lui connaît.
   J'ai choisi ces extraits parce que des attaques nucléaires pèsent constamment sur nous et que plusieurs gouvernants souffrent d'authentique démence. "Si corruption et autres signes de cynisme ne constituaient pas un obstacle, la folie, elle, était à craindre." (Une charogne sur le banc des accusés, p. 327) 

Chapitre L'avenir dissimulé sous la terre (p. 30-32) :
   C'est à bord du train entre Göteborg et Stockholm que je tombe par hasard sur un article évoquant le projet d'ouvrir à la dynamite, dans la roche mère de Finlande, des tunnels et salles souterraines afin d'y entreposer les déchets du nucléaire pour une durée indéterminée. Qui ne doit pas être inférieure à cent mille ans. Même si la radioactivité est la plus intense (comprendre "mortelle") au cours des mille premières années, il faut malgré tout pouvoir garantir un stockage hermétique sur une durée équivalente au passage sur Terre de trois mille générations humaines.
   J'ai connu le nucléaire toute ma vie. De mon enfance, je garde le souvenir de manifestations hostiles, et de la peur que nous inspiraient à la fois l'arme atomique et la perspective d'une terrible guerre entre deux bêtes féroces, l'Union soviétique et les États-Unis. La paix entre elles était toute relative, fragile et précaire, et il fallait à tout prix empêcher leur affrontement. Après cela, il y a eu les grandes catastrophes nucléaires -- Three Mile Island, Tchernobyl et la dernière en date : Fukushima. J'ai la conviction, bien naturelle, que le compte à rebours nous séparant de la prochaine a déjà commencé. Je suis un opposant à l'énergie nucléaire. Chaque accident avéré -- et chaque incident le pire a été évité de justesse -- renforce ma défiance. Je savais que le temps nécessaire pour neutraliser la radioactivité était long, et connaissais le danger de ces déchets avec lesquels il allait falloir cohabiter pendant des millénaires. Mais c'est seulement ce jour-là, à l'automne 2012, que j'en ai saisi les implications réelles.
   L'article est relégué au bas d'une page intérieure. D'autres informations ont une priorité bien supérieure : les amours d'une rock star, les astuces pour payer moins d'impôts et pour maigrir de dix kilos en quinze jours.
   C'est compréhensible. La vie, après tout, se déroule au présent.
   Peu de gens ont la capacité d'étendre leur curiosité au-delà des jours ou des mois à venir. Au-delà du prochain tirage du Loto, disons, grâce auquel on espère se délivrer de toute contrainte et partir s'installer aux Caraïbes.
   Aujourd'hui, les habitants de notre partie du monde ne croient pas en Dieu, mais ils croient au tirage et au grattage. Ils sont accros aux jeux de hasard. Si on a la chance de gagner, c'est merveilleux : plus besoin de travailler, plus besoin de se préoccuper de quoi que ce soit, dorénavant on pourra considérer le reste de la société avec arrogance et mépris. La nouvelle façon de désigner le gros lot l'indique on ne peut plus clairement : "Vingt-cinq de salaire!" Exonéré d'impôts, bien entendu.
   En bas de la page du journal, donc, voilà cet article sur le projet de cachette géante enfouie au coeur de la roche mère finlandaise afin d'y stocker jusqu'à la fin des temps d'énormes quantités de déchets nucléaires.
   (...) Comment est-il possible de garantir la conservation pendant cent mille ans de déchets mortellement toxiques, alors qu'aucun des plus anciens édifices humains que nous connaissons n'excède cinq ou six mille ans d'âge?

Chapitre Testament (p. 39/42) :
   Les civilisations ne laissent pas de testament. Seuls les individus le font. Rome, l'Égypte des pharaons, la civilisation inca ou maya n'on pas disparu à la suite d'un événement unique, comme un accident ou une éruption volcanique. Le déclin s'est fait progressivement, et il a été nié jusqu'au bout. Une civilisation aussi aboutie que la leur ne pouvait tout simplement pas disparaître. Les dieux s'en portaient garants. (...)
   C'est là un dénominateur commun de toutes les grandes civilisations : le fait qu'elles semblent avoir été immortelles aux yeux de leurs représentants.
(...)
   Deux notions résument tout ce qui a été, et sans doute aussi tout ce qui sera.
   Survie et disparition.
   Un simple regard en arrière nous permet d'anticiper se qui nous attend, nous aussi. Rien ne se répète à l'identique. L'histoire n'est pas une suite d'imitations.
   Mais en ce qui nous concerne, on peut dire que nous avons d'ores et déjà décidé quel sera le témoignage ultime de ce que nous fûmes.
   Pas Rubens, Rembrandt, Raphaël.
   Pas Shakespeare, Botticelli, Beethoven, Bach ou les Beatles.
   Rien de tout cela.
   Quand notre civilisation aura disparu, il restera deux choses. La sonde spatiale Voyager lancée dans sa course à travers l'espace interstellaire. Et les déchets nucléaires enfouis au coeur de la roche mère. 

Ce livre devrait être intégré au cursus de toutes les disciplines, du collégial à l'université, et lu par le plus grand nombre de gens possible, maintenant. Je rêve en couleurs...

SABLE MOUVANT
Fragments de ma vie
Henning Mankell
Traduit du suédois par Anna Gibson
Éditions du Seuil, septembre 2015  

Dans son documentaire Les Colons, Shimon Dotan cite l'aphorisme suivant :
CELUI QUI VERSE LE SANG DE L'HOMME
VERRA SON SANG VERSÉ PAR L'HOMME

On peut penser au destin boomerang de Kim Jong-nam (demi-frère de Kim Jong-un). Les tyrans ne tolèrent aucun compétiteur.

Un court métrage (1952) à voir ou revoir : Voisins (Neighbours) par Norman McLaren – les guerres de frontières expliquées en 8 minutes…



Court métrage d'animation le plus célèbre de Norman McLaren pour lequel il remporte un Oscar®. Le film raconte l'histoire de deux voisins vivant dans l'amitié et le respect jusqu'à ce qu'une fleur pousse à la ligne mitoyenne de leurs propriétés. S'ensuit une querelle qui mènera les deux voisins au tombeau.

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